L’usage du cannabis gagne du terrain à travers le monde, souvent perçu comme un remède « naturel » contre l’insomnie ou les troubles du sommeil. Mais que disent réellement les données scientifiques ? Une vaste revue systématique et méta-analyse publiée en octobre 2025 par Mao et al. dans Sleep Medicine Reviews examine de manière approfondie le lien entre usage récréatif du cannabis et qualité du sommeil dans la population générale.
Méthodologie : un travail de synthèse rigoureux
Les auteurs ont passé au crible 120 études comprenant près de 228 millions d’utilisateurs de cannabis dans le monde. Toutes les études analysées portaient sur des usagers non médicaux. Leurs objectifs ?
- Évaluer l’association entre usage courant ou passé du cannabis et différents paramètres du sommeil,
- Comparer les résultats observationnels et les études expérimentales contrôlées,
- Explorer l’impact de facteurs comme l’âge ou le sexe.
Six dimensions du sommeil ont été analysées : qualité du sommeil, durée, insomnie, somnolence diurne, chronotype et latence d’endormissement.
Résultats principaux
Les résultats distinguant usage actuel (dans le mois) et usage “à vie” du cannabis sont édifiants :
1. Qualité du sommeil
- Les usagers actuels présentent une qualité de sommeil globalement altérée, mesurée notamment via l’Index de Pittsburgh (PSQI), avec un effet plus marqué chez les hommes.
- Les données expérimentales, limitées et souvent de faible qualité, ne montrent pas d’amélioration nette après administration de THC ou CBD.
2. Durée du sommeil
- Augmentation du risque de sommeil trop court (<7 h) ou trop long (>9 h) chez les usagers.
- Ce phénomène touche particulièrement les plus jeunes.
3. Insomnie
- Usage « à vie » du cannabis associé à presque 4 fois plus de symptômes d’insomnie (difficultés d’endormissement, réveils nocturnes…).
4. Chronotype et latence
- Chronotype plus tardif (couche-tard) observé chez les usagers.
- L’usage répété proche de l’heure du coucher semble diminuer la latence d’endormissement… au prix d’un sommeil plus fragmenté.
5. Somnolence diurne
- Aucun consensus : les résultats restent variables et non conclusifs.
Cannabis et sommeil : effet causal ou simples corrélations ?
On ne peut évidemment pas savoir si c’est le cannabis qui entraine le mauvais sommeil, ou si c’est parce que les personnes qui prennent du cannabis ont un mauvais sommeil, mais en tout cas, à terme, le cannabis n’améliore pas la situation. Les auteurs insistent sur la limite des études observationnelles, potentiellement biaisées par des facteurs non pris en compte (ex. : santé mentale, consommation de substances associées). Les données sur le sommeil sont déclaratives, donc plus soumises à l’interprétation des participants. À l’inverse, les études expérimentales, avec des mesures plus objectives, ne montrent néanmoins pas d’effets nets, souvent faute de durée et de puissance statistiques suffisantes (petits échantillons, suivis courts, faible dosage)..
Conclusion : aucun bénéfice clair sur le sommeil ne peut être retenu pour la consommation récréative de cannabis. Au contraire, des associations défavorables sont retrouvées dans des dimensions clé du sommeil.
Quelles implications pour la santé publique ?
Cette méta-analyse éclaire un phénomène de plus en plus visible : l’usage du cannabis dans un but “d’auto-traitement” du sommeil est en décalage avec les données scientifiques. Les professionnels de santé doivent donc rester vigilants face aux discours simplistes vantant son efficacité.
Par ailleurs, la vulnérabilité particulière des jeunes souligne l’importance de campagnes de prévention ciblées, notamment dans un contexte de légalisations progressives.












